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Le quatrième wagon
12 janvier 2011

Jacques Cartier revu et corrigé à la sauce Coffe

Je suis très triste, un grand groupe de vêtements moches, pas chers et de mauvaise qualité vient de racheter le fond de commerce de Mourad, le petit épicier arabe du coin de la rue.

L'an passé, monsieur Mattazzo a lui aussi fermé boutique, remplacé par un grand groupe de vêtements moches, pas chers et de mauvaise qualité. Je crois qu’il s’agit d’une espèce d’épidémie dont les médias ne parlent pas ; on ne nous dit pas tout.

mattazzo_capitoneMonsieur Mattazzo était vendeur de télé, de bouilloires électriques, d'aspirateurs, de guirlandes lumineuses, de pantoufles et de grille-pains, il s'était installé dans le quartier sous le directoire (le 19 Nivôse ou Ventôse, selon la légende). On dit aussi qu'il se livrait à un trafic d'organes dans l'arrière-boutique, et qu'il arrondissait ses fins de mois en livrant aux maffieux des genoux de rechange sous le joyeux pseudonyme de Fermolo Capitone. Cependant, rien n'a jamais été prouvé.

Longue vie et prospérité, donc.

D'autant qu'il était Calabrais.



mattazzo2

Monsieur Mattazzo avait un sourire tout jaune et beaucoup de couperose, répartie sur ses 2 joues en réseaux fins et bleutés (plusieurs générations d'écoliers ont révisé leur carte de France routière en décryptant le visage de Monsieur Mattazzo, pendant que leurs mamans achetaient une ampoule 3 volts ou un peigne électrique). Il vendait uniquement des objets de marques improbables (j'ai un grille-pain de marque IZUROU. Toujours selon la légende, Monsieur Mattazzo créa cette ligne spécialement pour le quartier. Encore aujourd'hui, on capte les ondes courtes en actionnant le thermostat. Et certains soirs, lorsque la nuit est clémente, on peut entendre l’Amiral Nelson lancer son offensive sur Trafalgar.).

Seules les télévisions échappaient à cette règle immuable, allez savoir pourquoi.



En effet, question télé, monsieur Mattazzo ne vendait que du Radiola.

Il réparait les appareils, aussi.



Interrompre monsieur Mattazzo en pleine opération à circuits ouverts, c'était risquer de prendre en pleine poire un fer à souder, lancé à la vitesse du son du bout de l'atelier. Son S.A.V était cosmique. Monsieur Mattazzo descendait en rappel dans les mattazzo3tubes cathodiques, avec une lampe frontale et une boussole. A midi, son fils lui balançait des sandwichs à la catapulte, et faisait descendre au fond du tube une petite gourde de vin rouge. Gracieusement posée dans un ravissant panier en rotin tapissé de tissu vichy.

Quand il n'avait rien à faire, monsieur Mattazzo sortait sa blouse grise, son sourire tout jaune et sa couperose sur le trottoir. Les mains croisées dans le dos, il mâchonnait un vieux crayon, même pour dire bonjour. Lorsqu’il croisait un habitant du quartier (ou pas d’ailleurs. Monsieur Mattazzo aurait entamé une conversation avec un extra-terrestre, auquel il aurait probablement essayé de vendre une lampe-torche carrée assortie de sa pile à ressort), il se lançait dans de caverneux discours au fond desquels il ne mettait que des voyelles.

A cause du crayon.

Peut-être aussi qu'il ne connaissait pas l'existence des consonnes. 

Il était un peu dur d'oreille, et nous nous amusions à lui poser tout un tas de questions sans les articuler. Les conversations qui s'ensuivaient prenaient une tournure intéressante, mais dépassaient rarement les 10 minutes, faute de matière.

Sacré Monsieur Mattazzo.

Mourad, c’était autre chose.

Il m’appelait Lady Di (et je ne crois pas que ce soit une bonne nouvelle), et prenait des poses lascives au milieu de ses boîtes de conserve, moulé dans un pantalon de tergal antédiluvien très lustré. Mourad était un gentleman, il me faisait de petits cadeaux, et de grands sourires constellés de graines de sésame. Il devait avoir dans les 79 ans. Il était épais comme une taie d’oreiller, et n'articulait pas très bien lui non plus.

Maintenant que j'y réfléchis, le quartier était peut-être le siège d'une étrange malédiction.

figuesMourad vivait au-dessus de son épicerie. Professionnel et Don Juan jusqu’au bout de l’ourlet, il descendait parfois m’offrir un petit paquet de vieilles figues (seule la date de péremption était encore visible sur l’emballage), quand il me surprenait dans la rue à une heure tardive. N’ayant pas de télévision, Mourad se postait sur le rebord de sa fenêtre et observait le quartier, on décelait à peine son visage au travers d’un épais rideau de bégonias. En fait, on le devinait. Dès qu’il m’apercevait, son petit bras tout maigre surgissait en emportant ça et là quelques feuilles sèches, et il me demandait d’attendre 2 minutes.

Quelques instants plus tard, il soulevait avec fracas le rideau de la boutique, laissant en état d'hébétude la moitié du quartier surprise dans son sommeil. Il sortait alors à toute berzingue en pyjama, lesté de son offrande jurassique. Je n’ai jamais pu me résoudre à jeter le paquet 3 poubelles plus loin. En général, je l’offrais à mon tour et j’imagine qu’à ce jour, de nombreux paquets de figues du XVIIIème siècle font inlassablement le tour du monde.

L'un d'eux échouera peut-être un jour dans les mains de Jean-Pierre Coffe, qui sera bien embêté. 

Aujourd'hui, il reste deux irréductibles dans le quartier. Le quincaillier Descloux (ça ne s'invente pas), qui vend des accessoires de marque LeManchot au rayon serpettes et tronçonneuses. Rien que pour cette raison, je suis prête à lui allouer un budget mensuel. Pas très loin, l'électricien Petitpierre, chez qui on peut encore payer en assignats, en écus et en points Esso, enlumine ses factures exorbitantes dans la pure tradition des moines de l'abbaye de Saint Bavon.

Mais curieusement, quelque chose me dit que ça ne durera pas.

 

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Commentaires
M
Nolaaaaaaaaaaaa!!!!!!!!!!!!!!!! Je rêve! C'était au 18ème siècle!!!!!!!! Mais comment vas-tu? Donne vite de tes nouvelles, viiiiiiiiiite!<br /> Minie, l'éradication de l'humain n'est pas à souhaiter, car les insectes n'achètent pas de serpettes LeManchot.
M
Alors il faut prendre le carro por Lisboa... Voir les merceries là-bas, ça c'est du vrai ! Encore !<br /> Les quincailleries... tsss pourquoi retourner le fer dans la plaie, hmm ? <br /> Bon, grêve de plaisanterie, ça va reviendre. Si, si ! Mais on passe d'abord par la case "éradication de l'humain"... !?
N
Haaaaaaaaaa Mr Mattazzo, le mien, il parlaît encore avec l'accent transalpin.<br /> "Ma tou voa Nola, si tu met le bigorniau dans la tricotine, ça s'alloume !"<br /> Je m'en souviens encore comme si c'était hier ...<br /> Comment va ma belle floue ? ça fait du temps ... trop de temps.<br /> kisssss
M
Oh, Tilu, j'adore l'image, bravi!<br /> JiPiBi, de quelle couleur, le tire-larigot? (non, parce que j'en ai déjà 2, un rouge et un ravissant bronze délicatement patiné à la fesse)<br /> Berthoise, chez nous, ce sont les boutiques de vêtements moches et de mauvaises qualité, ainsi que les agences immobilières. Les banques étaient déjà là du temps de César, à cause de la Suisse toute proche. <br /> Madame de Karabistouille, c'est chez mon quincailler que j'ai trouvé le grââl, très paradoxalement...
T
Mr Mattazzo a un sosie dans ma petite ville... Quand on rentre dans sontout petit magasin on a l'impression d'entrer dans un film de Jean-pierre Jeunet... tout devient sépia... :-)
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